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Me, my backpack & the wilderness : randonner dans le parc national des Sequoias en Californie


Aujourd'hui, on vit notre vie à mille à l'heure. Coincés entre des horaires de travail fixes, des soirées écourtées par la fatigue, l'envie de toujours faire plus, voir plus, sortir plus, découvrir... on aimerait pouvoir transformer une journée de 24h en 28h.

Mes journées se ressemblent, peut-être comme les vôtres. Les mêmes horaires, les mêmes habitudes, les mêmes personnes, le même chemin deux fois par jour, les mêmes calories brûlées au sport, les mêmes séries sur Netflix, à la même heure.

Puis de l'autre côté, quatre semaines de vacances par années. Quatre semaines pendant lesquelles je peux me créer une liberté totale, réaliser mes rêves les plus fous. Onze mois de fausses journées de 28h pour 1 mois d'évasion.


Enfin, vient le moment d'imaginer ce à quoi pourrait ressembler ces vacances. 10 jours au mois de septembre. Après avoir cherché au plus profond de ma bucket list déjà bien entamée, je construis un projet sur la base d'une idée déjà eue plusieurs fois, inspirée de deux de mes films préférés "Into the wild" & "Wild", deux histoires vraies adaptées d'après leur roman respectif. Leur point commun? Une personne comme vous et moi partant seule au plus profond de la nature. Un voyage spirituel que chacun vivra différemment. L'occasion de se retrouver, de ne plus avoir d'horaires, de pouvoir réfléchir l'esprit libre, se vider la tête et juste apprécier le moment présent.


Alors c'était décidé et j'ai pu commencer mes innombrables recherches sur où, comment et quand faire ce trek.



Préparation avant le départ


Le site internet suivant m'a beaucoup aidé et je le conseille vivement pour rechercher n'importe quel type d'aventure dans le monde entier:



J'avais à peine trois mois pour me préparer à ce voyage, pendant lequel j'aurai 7 jours maximum pour randonner, seule, dans un parc national. Mon choix s'est porté sur une randonnée en boucle, ce qui est quand même super pratique pour pouvoir revenir à sa voiture (organiser les transports c'est un souci en moins, surtout si on manque de temps). Le vol arrivant à Los Angeles, les trois grands parcs nationaux de Californie sont des points d'évasions parfaits: le Yosemite National Park, Kings Canyon National et le Sequoia National Park. C'est au coeur de ce dernier que se trouve la randonnée de 75.6 kms que j'avais choisie: Timber Gap à Sawtooth Pass.



Pourquoi j'ai choisi cette randonnée?


1.- Facilité d'accès depuis Los Angeles, à 4h30 de route

2.- Le fait que ce soit une boucle pour pouvoir revenir à ma voiture

3.- Pas de problème pour trouver de l'eau le long du chemin grâce aux lacs et aux ruisseaux

4.- Pas de permis à réserver à l'avance

5.- La beauté des paysages des vallées aux Sequoias


Comment je m'y suis préparée?


1.- J'ai cherché sur internet tous les récits possibles de ceux qui ont fait cette randonnée

2.- J'ai noté sur un carnet toutes les remarques que j'ai pu trouver sur cet itinéraire

3.- J'ai regardé plein de vidéos sur le site officiel du parc national, comme "se préparer pour un trek en forêt", "comment réagir en présence d'un ours", "faire son sac", "comment protéger sa nourriture contre les ours", et même "comment faire ses besoin dans la nature", haha. Ces vidéos sont aussi bien faites sur le site officiel "REI", les magasins américains de sport outdoor: www.rei.com

4.- J'ai lu et relu plusieurs blogs sur la randonnée en autonomie

5.- Très important: en arrivant au parc, j'ai acheté une carte topographique, à toujours avoir sur soi.

6.- Ayant une bonne condition physique car je pratique une activité sportive très régulière, je n'ai pas senti de le besoin de m'entrainer. Quoique, avec le sac, j'aurai du finalement...


Dans le fond, je semblais parfaitement préparée. J'avais un peu peur, mais c'était surtout de la bonne peur, car j'allais faire quelque chose de nouveau. Je savais que ça n'allait pas être facile, même si je sais en général me débrouiller, j'ai tendance à être assez peureuse seule, même chez moi. Alors... dans la forêt... la nuit... seule... avec des ours... des arbres géants... Pourquoi j'ai décidé de me lancer là-dedans déjà? ^.^


A quelques jours du départ, je me sens prête. Je prépare mon sac de randonnée à l'aide de ma check-list pour être sûre de ne rien oublier. Je déballe toute ma nourriture lyophilisée pour le trek (achetée sur www.lyophilise.fr) et remballe le tout dans des sachets individuels numérotés pour faire plus de place. Au départ de Genève, mon sac pèse 12,3 kg. Il faudra encore y ajouter avant de commencer le trek: 3L d'eau, un "bear canister" (une boite anti-ours pour la nourriture, qu'ils ne peuvent pas ouvrir), quelques barres de céréales à acheter sur place, un réchaud avec une cartouche de gaz (que je ne peux pas transporter dans l'avion).




Jour du départ


Samedi matin, je prends l'avion direction Los Angeles via Zurich. Comme c'est un vol de jour, je ne dors pas, pour éviter d'être trop décalée en arrivant en Californie, qui a un décalage horaire de -9h sur Genève. En arrivant à 17h, je choisi ma voiture de location chez le loueur (une Hyundai Accent bleue) et je pars sur Westwood, le quartier étudiant où j'ai habité, pour diner avec deux copines. Le plan est de commencer la randonnée lundi matin, et donc d'arriver déjà sur place le dimanche, soit demain. Pour séparer la route en deux parties, j'ai donc réservé un hôtel pour ce soir à Bakersfield, une ville au nord de Los Angeles à 1h30 de route. Après manger, je ne tarde pas trop pour prendre la route dans le but d'y arriver avant minuit. Mais la route est très dure... Mes yeux piquent et se ferment tout seuls: je n'ai pas dormi depuis 26 heures. Musique à fond, clim' glaciale et fenêtres ouvertes, j'essaie de garder les yeux ouverts malgré la monotonie de la route, droite et illuminée que par mes phares. J'hésite des fois à m'arrêter sur le bord... puis carrément faire demi tour et tout laisser tomber!


Le désavantage quand on est seul et qu'on a des pensées comme ça, c'est qu'il faut se raisonner tout seul aussi. Il y a plus personne pour nous motiver. Non, non, non, je suis venue dans un but précis. A minuit j'arrive à Bakersfield, je fonce dans ma chambre, même pas la force de prendre une douche pour ce soir que je me démaquille seulement et me jette sur le lit.






Le lendemain, après un sommeil agité, je me rend chez Walmart pour acheter tout ce qu'il manque: la cartouche de gaz de 440g, le réchaud, des chaufferettes en cas de froid extrême, une bouteille d'un litre d'eau pile pour pouvoir utiliser mes pastilles qui purifient l'eau (1 pastille pour 1 Litre) et 3 packs de beef jerky pour l'énergie. De retour à l'hôtel, je me pose 30 minutes au bord de la piscine. Il fait chaud, les pieds dans l'eau, j'écris mes derniers messages. Quand mon téléphone se déconnecte du wifi, je me sens déjà sur une autre planète, livrée à moi-même. Normalement, je n'aurai plus de wifi ni de réseau avant 6 jours.









Route vers le parc national des Séquoias


Sur la route pour le parc des Séquoias, je me sens déjà seule. Les longues routes américaines me rappellent les road trips avec Nelson, les arrêts chez In'n'out au milieu d'un long trajet pour manger un burger, moi qui lui casse les oreilles à chanter Britney Spears en boucle dans la voiture, les canettes géantes glacées de thé froid Arizona quand on fait le plein d'essence, les arrêts photos au bord de la route au milieu de nul part,... J'essaie de casser le silence en chantant, en regardant ce qui m'entoure. Je roule, en pensant à ce qui m'attend. En y pensant un peu trop peut-être. Cette aventure, personne ne m'a forcée, je l'ai voulu, il faut que j'aille jusqu'au bout. Mais la fin me parait tellement loin quand je sais tout le chemin qui me reste à parcourir!


Après 2h de route, je m'arrête à Visalia, la dernière ville, pour faire le plein et j'achète mon tout dernier objet manquant, indispensable si je veux pouvoir manger.


Moi : "full tank please and one lighter"

Vendeur de la station essence: " small or big?"

Moi: "small"

Lui: "Ok. Pink?"

Moi: "Perfect!"


La route vers le parc peut commencer. J'entre officiellement dans le "Sequoia National Park". Le paysage change peu à peu, je passe des vergers aux petites montagnes sableuses et sèches, il fait encore 30 degrés, puis il n'y a plus que quelques rares habitations et cafés locaux dans une semi-forêt. Au loin, j'aperçois les hautes montagnes du Sequoia et Kings Canyon. 32 km de route en lacets très serrés, du sable, des cailloux et finalement: les séquoias! C'est impressionnant comme ils sont hauts et comme le tronc peut être large. Il me faudra plus ou moins 1 heure de conduite pour 32 km sur une route de rallye de montagne: la Mineral King Road. Au bout de cette route se trouve la Mineral King Valley. Ici, on ne paie pas la traditionnelle entrée au parc national, alors qu'on la paie à l'entrée juste à côté. La Mineral King Valley est un endroit beaucoup moins touristique, on y vient pour des randonnées sur plusieurs jours, il n'y a quasi pas d'infrastructures à part une station de rangers et deux campings - pas d'essence, pas de magasin, pas de restaurant.


Comme prévu, j'arrive avant la fermeture de la station des rangers. J'entre, une jeune ranger m'accueille et m'explique tout. Je remplis mon permis (gratuit à partir du premier jour de l'automne): je dois indiquer où je pense dormir chaque nuit et quand je pense revenir. Elle me loue le fameux bear canister (la boite anti-ours!!) pour 19$ et j'achète une carte topographique de Mineral King valley pour 10$. Elle m'informe que les températures sont proches de 0 degrés la nuit en hauteur. Sympa!



Cold Springs Campground


Je vais me trouver une place au campement. Il y a 40 emplacements prévus pour des tentes (pas de camping car autorisés) et ce soir nous sommes que 4. Je choisi l'emplacement 3, juste à côté de la Kaweah River qui fait un bruit agréable et où le soleil peut encore chauffer un peu ma tente. En parlant de tente, c'est le moment de la monter, here comes the challenge. Cette tente "quick hiker ultralight" de la marque Quechua est géniale car elle ne pèse que 1,9 kg et se range facilement dans un grand sac de trek. Elle n'a quasi pas d'armature, d'où son poids, elle tient donc debout uniquement si on la tire de tous les côtés avec les ficelles, fixées au sol à l'aide des sardines. Elle ne peut donc pas être montée sur n'importe quel terrain. Et là... le sol est plein de cailloux! Il me faudra un bon quart d'heure pour dégager les cailloux du sol et enfoncer les sardines tout au fond comme une dingue avant que ça puisse ressembler à quelque chose. En espérant que ça ira mieux les prochains jours...



Je profite de la lumière du jour pour partir à la recherche de bois pour le feu de ce soir. Le brûleur et le réchaud fonctionnent, mais je vais profiter du feu pour économiser le gaz et pour me réchauffer. A 18h, le soleil se couche et il fait déjà froid, alors je commence le feu avec des pives, des brindilles, du bois morts et deux pages de mon livre. Pour dormir, j'ai pris un pantalon et un sous-pull Odlo, par dessus lesquels j'ai mis ma polaire et mon pantalon de trek. J'enlèverai ces dernières couches qu'au moment de dormir, pour ne pas salir mon "pyjama". Ouais, faire tenir un feu ça salit énormément, sans parler de la terre par terre et la fumée! Quand le feu a bien pris, je pose ma casserole remplie d'eau sur la grille pour faire bouillir le contenu. C'est le principe de la nourriture déshydratée: on y ajoute une certaine quantité d'eau bouillante, on attend 5-8 minutes que ça pompe et on mange :-).


20h, c'est prêt. Je renverse dans la casserole le contenu de la double ration de spaghettis bolo que j'avais commandé par erreur et j'attends. C'est bon, mais... on dirait plutôt une soupe de spaghettis. Beaucoup trop d'eau! Je me force à manger au moins la moitié. Tout ce que j'ai dans le ventre aujourd'hui c'est les 5 fraises du petit déjeuner et le pumpkin spice latte du Starbucks. Il me faut de l'énergie pour demain! Berk... je jette le reste de la casserole dans la poubelle - surtout ne pas attirer les ours vers le campement. En souvenir du road trip en Nouvelle-Zélande, quand la température dans le van ne dépassait pas les 0 degrés et qu'on collait nos sacs de couchage au chauffage de la voiture à fond, avant de tout éteindre et vite s'emmitoufler dedans, j'a


i fait pareil avec le feu pour que mon sac de couchage soit tout chaud avant d'aller dormir. Bien au chaud dans ma tente, j'ai continué à lire mon livre, "Wild", avec ma lampe frontale, avant de tout laisser tomber pour m'endormir.


Premier jour


A 7h, je me fais réveiller par mon réveil. Je commence par tout ranger, dégonfler, plier, ce qui me prend déjà une énergie dingue. Ce matin, pour le petit déjeuner c'est flocons d'avoines avec framboises (450 kcal au total). Le brûleur marche nickel: 4 minutes pour faire bouillir 250 ml d'eau. Le résultat est pas très satisfaisant pour la nourriture, par contre... On dirait une grosse bouillie de papier mâché. J'avais l'impression d'être un enfant de 6 ans qui mangeait son bricolage à la colle. Je me force, en imaginant que je mange un dessert à la framboise d'un grand restaurant étoilé. ^.^ (on fait comme on peut) J'en mange la moitié de nouveau et jette le reste.


Bon, une fois que je pense être prête, après avoir mis chaque objet à sa place dans le sac, rempli mes 3L d'eau avec les pastilles de purification, je mets mon sac dans la voiture. Et là, je me rend compte qu'il est vraiment lourd! 17 kg minimum! Je m'attendais pas à ça! En passant, rien que le bear canister rempli la moitié de mon sac, tellement ce truc est gros. Pas très pratique... Bref, je prends la voiture et je roule jusqu'au parking du départ du trail. Quelques voitures y sont garées, le départ du "Sawtooth trailhead" est là. Je ferme ma voiture à clé, et j'ai ce sentiment inexplicable. L'impression de partir vers l'inconnu (c'est le cas finalement), de ne pas savoir exactement quand je rouvrirai ma voiture.


Les premiers pas sont difficiles. J'entends ma respiration. Je m'arrête tous les 20 mètres pour admirer la vue qui est vraiment incroyable au fur et à mesure que je prends de l'altitude. La carte m'indique que je vais devoir monter pendant 4 km environ et prendre 800m d'altitude. Ca, c'est dit... J'atteins le premier panneau qui indique la séparation entre timber gap (le début du trail) et Sawtooth Gap (la fin du trail). C'est déjà un soulagement d'avoir atteint le tout premier panneau. Je m'enfonce maintenant dans la forêt et je ne vois plus le paysage. Ca continue à grimper au milieu des séquoias. Là, au milieu des bois, ça bouge. Je m'arrête net: il y a un cerf (?) qui mange, pile sur le chemin. On s'observe sans bouger. J'attends un peu pour ne pas lui faire peur, j'aimerais éviter qu'il me charge, ce serait bien, alors j'avance lentement en faisant claquer mes bâtons de marche. Il dévie du chemin et je peux avancer. Woaw, après une heure de marche, j'ai déjà croisé un cerf, ça s'annonce sympa pour la suite!


Une fois sortie de la forêt, je traverse une clairière, où je vois de grosses marmottes, puis je recommence à grimper dans la forêt. Ca ne s'arrête pas de monter... Enfin, j'arrive au plat qui annonce que je suis arrivée à Timber Gap. Maintenant, que de la descente m'attend. Je ne sais pas exactement combien de kilomètres, mais je sais que toute l'altitude que je vais perdre maintenant, je vais devoir la rattraper, et même beaucoup plus puisque je suis partie de 2260 mètres, que je vais descendre encore jusqu'à 1800 mètres et que le point le plus haut du trail est à 3550 mètres.

"A Timber Gap, je prends deux minutes pour contempler l'immensité du parc qui s'étend devant moi. J'ai réussi à franchir la première montagne, tout ce que je vois est immense, sauvage, indescriptible. Je me sens si petite, seule et vulnérable."




La suite descend au coeur des arbres. Mes pieds marchent sur des pommes de pin, des grosses pierres. Je dérape plusieurs fois, mes jambes tremblent dès que je m'arrête deux secondes. En essayant de m'équilibrer le plus possible avec mes bâtons, je tombe même une fois par terre les genoux en avant, propulsée par le poids de mon sac. Je me relève aussitôt, un peu perdue, anesthésiée par la douleur de mes épaules dues au poids du sac. En montée, mon coeur s'accélère. Au début du trail, j'atteignais des 160 pulsations par minute alors que je ne faisais que marcher. En descente, je vais plus vite, mais tous les muscles se réveillent: les cuisses, les chevilles, les genoux, les abdos sont constamment contractés pour tenir le sac en équilibre, mes pieds bougent d'avant en arrière dans les chaussures, je sens déjà que des cloques se forment sous les doigts de pieds.


L'idée de devoir remonter entièrement si je devais revenir en arrière ne me vient même pas à l'esprit tellement la descente est raide et longue. Enfin, après deux heures de descente, j'émerge de la forêt. La vue sur la vallée est incroyable. Je me demande où se trouve le "high sierra camp", un campement par où je dois passer, qui croise un trail très connu et emprunté qui traverse toute la chaîne de montagnes de la High Sierra. Peut-on le voir à travers tous ces arbres? Je me demande par où le chemin passe, par quelle montagne je devrais monter. Je continue, ne voyant décidément pas le bout. Je traverse une clairière, des chemins plus étroits, des troncs morts, des sentiers déviés, des ruisseaux, je croise des biches, des marmottes, des écureuils, c'est magnifique. J'ai encore assez d'eau jusque là. Même si je sais que le soir, cuisiner, ranger, nettoyer, se laver et se préparer pour aller dormir prend environ 1L d'eau. La ranger m'a informée la veille que certains ruisseaux sur la carte étaient secs et qu'il n'y avait pas d'eau au High sierra camp. Il fallait que je m'organise pour avoir de la réserve jusqu'au Hamilton Lake, pour le deuxième jour.


Les chemins étroits ne me permettent pas forcément de m'arrêter. Il faudrait que je dévie un peu de la route tracée pour m'asseoir par terre quelques minutes et manger quelque chose. Mais je suis bien trop stressée pour m'arrêter, même si je meurs de faim. Ma montre indique 11 km de parcourus et 2000 calories brûlées à 13h. Mon petit déjeuner de ce matin ne comptait que 200 calories. Ma tête tourne, mes genoux tremblent, mais ne sachant pas encore combien d'heures il va falloir que je marche avant de pouvoir bivouaquer, je ne me sens pas tranquille pour m'arrêter et manger.


Quand j'arrive enfin au panneau attendu, celui-ci indique une bifurcation: à gauche, Redwood Meadows (comme prévu), tout droit Pinto Lake (ah, je connais pas) et en arrière... bah le parking. Je sais enfin à quelle distance exacte je me trouve mais ça ne me rassure pas pour autant. Je ne venais de faire que la moitié.

"Soudain, au loin, j'entends du bruit: il y a quelqu'un!"


Un type descend depuis le chemin qui indique "Pinto Lake". Enfin! On se présente, je lui dis où je compte aller et on regarde ensemble la carte topographique.

" Cinq jours pour cette boucle me semble très difficile" il m'avoue.


Il s'appelle Jeremy, il vient de San Francisco et ça fait une semaine qu'il a commencé son trek (qu'il finira aujourd'hui) et lui, il a fait la "petite boucle", celle qui justement revient par ce Pinto Lake et qui fait 20 km de moins que la mienne. Complètement découragée par ses paroles, j'ai peur. Et s'il a raison et que je n'y arrive pas? Depuis le départ, les seules choses qui tournent en boucle dans ma tête sont: vais-je arriver à temps au premier point? Avant que le soleil ne se couche? Vais-je arriver vendredi à la fin du trail? Vais-je réussir à rattraper tout ce dénivelé que je viens de descendre? Rencontrer Jeremy n'a fait qu'accentuer mes craintes, ou peut-être les justifier. Il me propose de changer mon itinéraire et d'essayer de monter jusqu'à Pinto Lake et faire la petite boucle. Cette idée me plait... au départ.


Sur la carte, la "petite boucle" indique qu'il faut passer un col encore plus haut que celui de la grande boucle. Tous les lacs où on peut bivouaquer sont à haute altitude. Je lui demande alors ce qu'il en est de la température tout là-haut. "Below freezing", il me dit! Aie, c'est ce que je craignais... Il me dit que son sac de couchage est fait pour résister à des températures négatives mais qu'il dormait malgré tout en doudoune - cette doudoune que j'avais achetée avant de partir et que finalement j'ai décidé de ne pas prendre à cause du poids du sac... Hum...


Jeremy se met à me poser des questions personnelles du style ce que je fais dans la vie, ce qui m'a amené seule ici. J'ai très envie de discuter, mais le moment est mal choisi. Je suis là plantée au milieu de la Sierra Nevada à mi-chemin du premier arrêt d'une boucle trop longue et je suis complètement perdue.


"Il est 13h, le soleil tape, je n'ai rien avalé depuis 7h du matin. Et lui, il me raconte la vie du gouverneur de la Californie, des principes fondamentaux de l'économie américaine. Lui, il n'a "que" 11km avant d'avoir officiellement terminé son trail. Je sais que quand il partira, je serais livrée à moi-même de nouveau seule dans l'immensité d'une forêt et ses montagnes intimidantes"


Quelque part, sa présence me rassurait. Je voyais à son allure qu'il s'y connaissait et que je pouvais lui faire confiance: il avait un couteau et un sifflet sur les lanières avant de son sac qu'il pouvait sortir en deux secondes en cas d'urgence. Il mangeait le bout des pommes de pin qu'il avait ramassées sur le chemin car il n'avait plus de provisions. Il me montre comment les trier et les manger. C'est cette partie qui donne le pignon de pin avec lesquels on fait le pesto :-) Il me fait goûter, je fais semblant d'aimer car c'est dégueulasse.


Il m'observe en mangeant ses pommes de pin, pendant que moi j'observe le panneau. Ce foutu panneau. C'est comme prendre la décision de sa vie.


Option 1 : continuer selon ses plans, aussi fous soient-ils, se lancer vers l'inconnu et risquer le risque

Option 2 : prendre le raccourci tout en sachant qu'il ne sera pas de tout repos et Dieu sait ce qui m'y attendrait tout là-haut

Option 3 : rebrousser chemin.


C'est absurde, non? Quelque part, quand on y pense, depuis que j'ai réservé mes billets d'avion il y a 2 mois et demi, acheté avec excitation mon matériel, montant et démontant ma tente pour m'entrainer, m'imaginant déjà sous les étoiles, après tous ces efforts, abandonner parait la pire des options. Sauf que pour moi, j'étais déjà allée très loin. La distance, les 11 kms ne comptaient pas. Le choix de faire ce trail c'était déjà en parcourir la moitié. Jeremy m'assurait qu'à Pinto Lake je serais bien. J'y resterais trois jours si je me sentais pas la force de continuer la boucle, puis je reviendrais en arrière. Je ferais du yoga sur mon matelas de sol au lever du soleil, je nagerais nue dans les cascades, je ferais un feu le soir et je regarderais les étoiles depuis ma tente. J'avoue, ça me donne envie, juste pour voir, pour essayer. Mais la brèche d'idée qui m'était venue de rebrousser chemin, parce que oui, au final, j'étais terrorisée même si j'essayais de me convaincre que je ne l'étais pas, je voulais courir jusqu'à ma voiture, faire un feu près de ma tente au campement de Mineral King Valley et téléphoner à Nelson avec la cabine de secours de la station de Rangers. Après ces pensées, je ne voulais plus continuer, j'étais sûre de rien...


Finalement, peut-être que j'étais mal préparée? Malgré mes constantes recherches pour être prête...


Jeremy continue à causer. Il me dit que je ressemble à Linda Ronstadt dans sa jeunesse, quand elle faisait partie du groupe The Eagles, ceux qui ont chanté "Hotel California". Il trouve que ma chemise me donnait un style de Kurt Cobain. Il m'encourage à continuer. J'aimerais qu'il s'en aille pour réfléchir correctement. A sa place, croiser quelqu'un seul qui décide de faire demi tour après m'avoir rencontrée, ça m'aurait perturbée. Je voulais pas qu'il pense que je suis une lâche ou une trekkeuse-touriste.


"Après tout, si j'avais eu l'idée de partir en randonnée pendant mes vacances, c'était pas pour souffrir, mais pour me vider la tête et penser à tout ce à quoi la vie métro-boulot-dodo ne me laisse pas le temps de penser. Pendant ces 11 kms, je n'ai pensé à rien de positif, seulement que mes pieds brûlaient, que mon dos me faisait mal et que je savais pas quand je pourrais m'arrêter l'esprit tranquille. C'était pas le but. J'aurais voulu me poser là, à contempler la forêt et faire le vide, mais je n'aurais pas pu."


Une heure après notre rencontre et nos discussions, Jeremy pose son sac près du miens et part chercher des pommes de pin pour son repas. J'en profite pour établir un plan. C'est décidé, je rentre. Mais comment le justifier auprès de lui sans qu'il se sente coupable de ce changement soudain? Et si je ne l'avais pas rencontré à cette intersection décisive...?


J'hésite alors à le laisser partir, prétextant une pause, en espérant qu'il ne saute pas sur l'occasion d'en faire une avec moi, puis quand il serait loin, je viderais la nourriture de mon bear canister pour alléger mon sac de 2 kgs et je viderais aussi ma gourde d'un litre. Et si ensuite je le croisais plus loin?! Mieux vaut être honnête, je décide de lui dire. Mais il ne revient pas de sa quête de pommes de pin. Je me dis alors que de toute façon, il me rattrapera.


Je hisse mon sac sur le dos (je précise que je n'ai rien vidé finalement, trop dangereux pour les ours), boucle la ceinture et c'est reparti pour attaquer cette partie que j'avais souhaité de tout coeur ne pas avoir à faire en marche arrière. En montant, je croise trois mecs, à tour de rôle, qui randonnent seuls: le premier est un jeune qui descend très à l'aise, avec un mini sac à dos. On se salue comme des fourmis. Le deuxième est beaucoup plus âgé, je ne peux m'empêcher de me sentir un peu nulle. Il me demande d'où je viens.


"Du croisement. Je fais un aller retour pour le fun". Non... Je mens: "Je viens de Pinto Lake!". Il me demande alors s'il y fait froid et je répète ce que m'a dit Jeremy. La troisième personne est un hippie avec un petit sac à dos également (décidément...) qui me demande aussi d'où je viens ce à quoi je répond la même chose. Quand je marche, je ne m'entend que moi: mes bâtons, les frottements de mon pantalon, la poche d'eau de 2L qui balance, mes pas sur la terre et mon nez qui coule. Des fois, j'ai l'impression d'être suivie alors je m'arrête pour écouter et en une seconde c'est le silence complet. Pas un seul bruit à des kilomètres à la ronde. A ce moment, je regrette de ne pas avoir le temps pour m'étaler juste là, à côté de mon sac, contempler les montagnes et me laisser bercer par le silence, sans penser aux kilomètres. Etre à l'écoute de la moindre brindille qui craque pour voir si un animal se cache. Ca, c'est se vider l'esprit. C'est ça, que je voulais. Mais je sais qu'avec la cadence que j'aurais du tenir, j'en aurais pas eu l'occasion.



Je sors enfin de la forêt et ses zig-zag, ce qui indique que j'ai fait un tiers de la montée. Je traverse la même clairière, maintenant en plein soleil. Chaque tronc ressemble à un ours, je sursaute, je transpire et mes genoux tremblent. Je me force à faire une semi pause, le temps de m'écarter du chemin pour faire pipi, poser mon sac et engloutir un boost énergétique. Deux minutes plus tard, me voilà repartie. Je n'entends toujours pas les bâtons de Jeremy derrière moi. A chaque fois que je bois à l'aide du tuyau venant de la poche d'eau, j'avale de la terre. Mes yeux piquent, mes lentilles sont sûrement pleines de poussière et de fumée du feu de la veille. Quand je me penche sur le côté pour attraper ma paille-tuyau, mes épaules brûlent de douleur, alors de temps en temps je relâche les lanières et porte le sac sur mes hanches.


La clairière traversée, j'entame la dernière partie: les zig-zag entre les séquoias jusqu'au plat de Timber Gap. Il est 17h, il me reste qu'une heure trente avant que le soleil ne disparaisse derrière les montagnes. La pensée de devoir marcher de nuit me fait avancer plus vite sans penser au poids de mon sac. Enfin, je crois reconnaître le plat de Timber Gap! Je vois même le ciel! Oui, j'y suis, j'ai réussi! Comme à la fin d'une course, j'ai envie d'accélérer le pas.

"J'y suis! Je m'effondre sur un tronc d'arbre au sol sans prendre la peine de dérocher mon sac. Je me laisse tomber en arrière et ne peux m'empêcher de laisser échapper un cri de soulagement, les larmes aux yeux, submergées par toutes les émotions par lesquelles je suis passée depuis mon départ de Genève."


Deux minutes plus tard, décidée à en finir avec ce retour en arrière, j'attaque la descente. L'idée du feu au camping le soir me rassure et me motive. Et l'espoir de pouvoir peut-être utiliser mes quatre "quarters" (pièces de 25 cents) pour appeler Nelson depuis la cabine me met du baume au coeur. Qu'est-ce que je vais pouvoir raconter en si peu de temps? J'ai tellement à dire! Pendant la descente, je m'entraîne en parlant à haute voix, ça fait du bien et personne ne m'entend de toute façon.


Je me rappelle les endroits par où je suis passée et ce à quoi j'ai pensé en y marchant. J'ai reconnu là où j'ai vu le cerf. Arrivée au premier panneau qui séparait le début et la fin de la boucle, j'ai eu un sentiment bizarre de savoir que je n'arriverai pas comme prévu par l'autre bout. Mais c'était mieux ainsi, j'en étais convaincue. Voilà, je peux apercevoir les voitures! Je fais de grandes enjambées jusqu'au dernier mètre, ou des biches m'accueillent. Je pose mon sac dans le coffre, m'assied derrière le volant et jette un dernier coup d'oeil à la montagne que je viens de traverser et à la partie que je ne traverserai pas. Du moins, pas cette fois.


De retour au campement, je prends la même place que la veille, je monte ma tente, gonfle, déballe, trie et installe toutes mes affaires et pendant les dernières minutes de jour, malgré les 3800 calories brûlées aujourd'hui, je fonce chercher tout le bois que je peux. Dans mon porte-monnaie: 2$, je pourrais appeler 4 minutes. Mais il faut que j'attende le matin à cause du décalage horaire. Une fois que tout est en place, je prépare le feu. Comme je n'ai plus à suivre mon planning de repas, je peux choisir ce qui me fait plaisir sur ma liste, comme sur la carte d'un restaurant. Je choisi les pâtes forestières. Le feu est prêt, j'allume le gaz à quelques mètres de là pour chauffer ma casserole. En parallèle, je me fais un thé sans thé, et je continue à lire "Wild" à côté du feu. Le repas est délicieux, le feu est parfait. Il tiendra pendant 3h, jusqu'à ce que je chauffe mon sac de couchage avant d'aller me coucher. Je pense aux randonneurs que j'ai croisés qui allaient à Pinto Lake. Est-ce qu'ils font aussi un feu? Est-ce qu'ils ont froid? En théorie, si j'étais arrivée à Pinto Lake, j'aurais campé avec les trois types, ce qui était censé être rassurant.

"Alors que je tente de continuer mon livre dans mon sac de couchage, les bras tout au fond, je m'endors après trois page et ma lampe frontale reste allumée. Je dors en boule car mon dos me fait trop mal pour être droite, comme j'étais penchée toute la journée à cause du poids du sac. Mais une fois endormie, je n'y pense plus, j'ai l'impression de dormir sur un nuage. "


J'avais prévu deux chaufferettes dans mon sac au cas où et comme je n'en ai plus besoin je les utiliser pour réchauffer mes pieds.




Deuxième jour


Le matin, j'ai l'impression qu'il fait moins froid que la veille (4 degrés) ou alors j'ai mieux dormi. A 7h, je fais chauffer ma casserole pour mon thé sans thé, je choisi un plat sur mon menu et pendant ce temps je lave, dégonfle, plie et range tout le campement. En partant, je me dirige vers le fameux téléphone avec mes quelques pièces. Je suis les instructions et mets toutes les pièces dans l'appareil. "Sorry, please try again". Ah? J'appuie sur le bouton pour récupérer les sous et rien ne sort... Non, non, non! Immense déception. Je prends alors mon mal en patience et je me dirige vers la sortie du parc, avec les fameux 32 kms de rallye de montagne. Arrivée à Visalia, j'entre au Starbucks avec mes habits de trek de la veille, sale, je prends un thé froid et m'installe dehors sur la terrasse. Il fait 32 degrés et ce n'est que 11h. Le wifi retrouvé, je passe deux coups de téléphone mais décide de profiter encore du calme sans internet, alors je me déconnecte aussitôt. Mon coeur me dit de faire les 3h30 de route jusqu'à Santa Barbara pour me vider la tête au bord de l'océan Pacifique. Chose dite, chose faite.



Les jours à venir seront tout aussi solitaires que les premiers, mais pas de question de marches interminables, de sac trop lourd ou de nourriture déshydratée. A la place, l'air frais du Pacifique, le doux soleil de la Californie, les marches dans les canyons, les palmiers de la côte, la tente sur la plage et les balades sur le sable à 6h du matin.

"Je rempli mon carnet de notes, je pense à tout puis à rien, je fais ce qui me plait et je dors incroyablement bien."


Ce voyage aura pris une tournure différente suite à la rencontre avec Jeremy, à cette intersection décisive. Ce à quoi je m'étais préparée pendant deux mois et demi n'aura pas été partie intégrante du séjour en Californie. Mais au final, j'ai trouvé ce que j'étais venue chercher. J'ai trouvé des réponses, j'ai trouvé le calme, le bonheur, la simplicité. Cette boucle de 72 kms a été entamée de 11km, et je compte un jour revenir la terminer, accompagnée, car après tout, Christopher McCandless avait raison:

"le bonheur n'est réel que lorsqu'il est partagé".

(Into the Wild)




Infos utiles:


Liste de mes affaires pour le trek:


- Un grand sac de 50L (Qechua)

- Une tente quick hiker ultralight (Qechua)

- Un sac de couchage température de confort 0 degrés (Qechua)

- Un matelas auto-gonflant isolant

- Un matelas à gonfler (Qechua)

- Un k-way / coupe-vent

- Une polaire

- Un pantalon et un sous pull Odlo

- Deux t-shirts

- Une brassière de sport

- Un pantalon de trekking convertible en short

- Deux paires de chaussettes

- Des chaussures de trekking montantes (Iowa)

- Des bâtons de marche

- Un réchaud, une bouteille de gaz de 440g

- Une casserole et une poêle qui sert aussi de couvercle

- Une fourchette, une cuillère

- Une tasse millimètrée

- Un couteau suisse avec boussole et thermomètre

- Un kit de survie (ustensile pour faire du feu, corde, allumettes de sûreté, couverture de survie)

- Une lampe frontale + piles de rechange

- Une batterie externe + câble pour le téléphone

- Un bandana

- Nourriture déshydratée

- Boost gel énergétique

- Petit linge

- Des pastilles micropur pour purifier l'eau

- Une gourde d'un litre et une poche à remplir de 2L

- Toilette: une brosse à dent, dentifrice, produit de lentilles, crème solaire et désinfectant pour les mains

- Pharmacie: dafalgan, aspegic, sparadrap à couper, désinfectant, crème cicatrisante, bande de gaz, pansements compeed pour les cloques et immodium

- Carnet de note et stylo- Un livre








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